Sylvie NORDHEIM – Petit Théâtre du Quotidien

J2C m’a offert, à moi aussi, une chance. Celle de collaborer au programme Victor Hugo dont, forte d’une longue expérience en milieu carcéral, je ne peux que mesurer l’intérêt.
En effet, la réinsertion des personnes détenues est au cœur de mes préoccupations. Depuis 2010, je dirige un atelier d’écriture et de théâtre, notamment au Centre pénitentiaire de Fresnes. Chaque année, une dizaine de participants ayant obtenu une autorisation exceptionnelle de sortie viennent présenter sur la prestigieuse scène de l’Odéon, devant leurs proches et un public payant, notre création collective.

Ici, je ne vise bien sûr pas de tels objectifs. Mais qu’importe ! Le défi reste de taille. Retourner dans la vie active après un séjour plus ou moins long ou répété en prison revient à mettre le pied sur une scène inconnue et affronter également un public.
De fait, nous sommes continuellement confrontés à toutes sortes de situations dans lesquelles nous révélons de multiples aspects de nous-mêmes, où nous devons faire preuve de compétences variées pour exprimer une émotion, un désir, un besoin, une opinion, un interdit, etc. En fonction de nos interlocuteurs et des circonstances, nous adaptons en permanence notre comportement, nos gestes, nos discours.
Or, les personnes détenues communiquent surtout entre elles. Elles ont, la plupart du temps, perdu l’habitude des rapports sociaux, elles maîtrisent mal l’art et la manière de se lier aux autres. Comme on dit aujourd’hui, elles n’ont pas les codes.

Chaque séance débute d’abord par des exercices d’échauffement, prélude à tout acte créatif. Curieusement, ce qui paraît un jeu d’enfant pose le plus de difficultés à bien des participants. Remuer bêtement un bras, une jambe en l’air, sauter à pieds joints avec entrain, faire des drôles de bruit avec sa bouche, impossible. Pour des hommes fragilisés par les épreuves, souvent démunis verbalement, la posture est essentielle pour survivre dans un environnement hostile. Leur première prison, c’est le corps. Voilà cette forteresse à laquelle ils doivent déjà s’attaquer. Certes, on ne vainc pas ses résistances dans un claquement de doigt mais l’essentiel est déjà d’en prendre conscience.
Je propose ensuite d’explorer les petites scènes de la vie courante, dans lesquelles nous jouons des rôles, tout en restant nous-mêmes. L’exercice n’est pas simple non plus. Les participants répètent souvent le même scénario dans leur quotidien. Or, je leur demande de sortir de leur zone de confort, de se réinventer dans une histoire inédite. Et là, que de surprises, d’instants magiques, aussi fugaces soient-ils, lorsque, piégés pas l’improvisation, ils dévoilent leur sensibilité, leur humour, leur talent, une part d’eux-mêmes lumineuse !

Espérons que cette activité, moins ludique qu’elle n’y paraît, ouvre en grand quelques fenêtres et permette à des hommes dont l’imagination est parfois sclérosée par l’incarcération de se projeter sur de nouveaux horizons.