Ludovic-Hermann WANDA
Prisons
Editions de l’Antilope, 2018
« Prisons » est le premier roman de Ludovic-Hermann WANDA. Moitié autobiographie, moitié documentaire. Il y raconte l’arrestation de Frédéric, son double, à la Gare du Nord pour trafic de drogue et sa détention à Fleury-Mérogis pendant six mois.
Son credo : la clef qui permet de s’en sortir, ce n’est pas l’argent, mais la lecture. « La lecture, ça vient ça reste, ça te fait grandir, mûrit, comprendre le monde, te comprendre toi-même, ça te donne des millions de sujets de discussion. Bref, ça te transforme en milliardaire de la connaissance. »
L’une des originalités de ce livre, c’est le dédoublement de chaque chapitre : le premier est écrit en français, le chapitre bis décrit les mêmes événements dans la langue des banlieues. Des « wesh », des « la putain d’sa mère », des « j’m’en bats les couilles », des « bouffons », des « sales bâtards », des « feuj », il y en a à la pelle, regroupés dans un mini glossaire en fin de livre, pour ceux qui auraient besoin de traduction.
Mais cette langue où « les termes empestent toujours autant la chair à canon, la sauvagerie et la haine » disparaît progressivement, suivant la transformation de Frédéric devant ses co-détenus et les surveillants de Fleury-Mérogis, surpris par ce prisonnier qui parle au lieu de se battre. Car, étonnamment, « sans recourir à la violence, il a acquis le respect de tous »
Ce livre, c’est en fait une histoire à cinq acteurs principaux :
– Frédéric, bien sûr, le détenu qui va tenter et réussir à ne pas céder à la tentation de la violence,
– Richard, son compagnon de cellule, de confession juive, « seringue sur patte », qu’il va transformer en le convertissant à la lecture, au point de ne plus quitter sa cellule pour pouvoir lire. Pour leurs compagnons, ils sont « les deux encyclopédistes du D3 ».
– « Marianne de la République, cinquième du nom », narratrice du roman, qui a quelques difficultés à suivre les événements, surtout quand ils sont décrits dans la langue du « ghetto ».
– Satan, qui tente régulièrement, sans succès, de faire revenir Frédéric à ses pratiques antérieures.
– Et Dieu, bien sûr, le Dieu de Frédéric, en qui il a une confiance à toute épreuve, persuadé que son enfermement correspond à un grand dessein qu’il a pour son protégé. S’adressant à lui, il déclare que « les 6 mois que tu m’as permis de passer à Fleury, avec Richard, ont été les plus beaux de ma vie ».
Pour les femmes, on parle de « plafond de verre ». Frédéric s’est trouvé face au « mur de Molière » : « J’ai compris que la France était coupée en deux par le mur de Molière. C’est bien plus qu’une barrière, c’est un mur quasi-infranchissable qui sépare les gens respectés des méprisés ». Ce « mur de Molière » symbolise la distance linguistique qui sépare deux France : celle des villes et des campagnes d’un côté et celle des cités et des ghettos de l’autre. Ce mur est un handicap de tous les instants, qu’il s’agisse de trouver du travail, d’expliquer à un juge ce qui l’a amené devant lui ou de courtiser une femme.
La langue française n’est pas seulement la langue des blancs. Elle facilite l’intégration, le sentiment d’appartenir à la France. La route est longue pour les jeunes des cités qui ne maîtrisent que 300 mots.
On comprend enfin pourquoi le roman s’intitule « Romans », avec un s. La prison, c’est bien sûr d’abord l’enfermement entre des murs. C’est aussi et peut-être surtout l’enfermement de nombreux détenus dans un univers limité par leur peu de connaissance de la langue, par le manque de lecture.
Pour Frédéric, sans omettre les côtés dégradants de l’incarcération (« le shit s’est infiltré dans toutes les prisons de l’Hexagone et a pris possession du système nerveux des détenus »), la prison peut être un lieu de transformation positive : « Je réalise que la prison a réussi à faire ce que j’étais incapable de faire par moi-même : elle m’a libéré »
Une vision qui ne sera pas forcément partagée par ceux qui ont vécu cette expérience de l’incarcération.
Aujourd’hui, Ludovic-Hermann WANDA est diplômé en mathématiques et en en philosophie.
Il s’emploie à « propager ce diagnostic, auprès de mes frères et sœurs du ghetto : pas de lecture, pas de liberté ».